Résumé de la pièce
La scène se passe dans un village berrichon.
Un vieux cultivateur, le père Alexandre, est sur le point de mourir. Il vit depuis des années avec une jeune servante à tout faire, la Torine, dont il a obtenu les complaisances en lui promettant qu’à sa mort elle serait son unique héritière.
Cependant il n’a pas voulu faire de testament et la Torine, qui sent l’héritage près de lui échapper, déploie toutes les ressources de son astuce pour décider le vieux à tester en sa faveur.
Il meurt au moment même où elle arrivait à ses fins ; au comble de la rage et désespérée, la Torine se laisse tenter par un projet diabolique.
Mais elle a besoin d’un complice. Elle appelle alors son voisin, le père Leleu ; alors, au plus rusé, lutte âpre et sournoise qui se termine d’une façon imprévue par le triomphe du plus fourbe des deux.
(tel que présenté par Martin du Gard en 1914 pour le Vieux-Colombier).
Pourquoi cette pièce ?
Construit au millimètre, à la fois classique et fantaisiste, Le Testament du père Leleu est une pépite théâtrale qui porte en elle tous les ressorts de la comédie, du burlesque, tout en abordant des thèmes de fond comme la condition féminine, la propriété, l’escroquerie…
Répondant aux canons de la farce, avec un canevas très structuré et des comiques de situation, la pièce laisse pourtant aux comédiens une grande liberté d’interprétation.
La langue paysanne choisie par Roger Martin du Gard caractérise les personnages, leur donne couleur et saveur, tout en restant très intelligible du public.
Contexte d’écriture (Extraits du Journal et des correspondances de Roger Martin du Gard)
Le Tertre, 30 août 1913 : « Je voudrais profiter de mon séjour ici pour écrire cette farce paysanne qui me sera un délicieux passe-temps. »
Le Testament du père Leleu est inspiré « d’un fait divers normand trouvé par Pierre Margaritis dans un journal de Mortagne ».
(Souvenirs, Journal I, août 1914 – juillet 1919).
Le Tertre, 12 septembre 1913 :
« Ma farce paysanne est achevée ; elle sera au net avant mon départ. […]
J’y ai mis une petite coquetterie pédante : mon style n’a rien du « paysan » d’opéra-comique. Il est rigoureusement exact, étymologiquement, philologiquement scrupuleux.
Il m’a valu des mots juteux, pleins de suc : « châgnard comme un hurisson », « plus râlu qu’un échardon », « Vièl sarpent ! », « Vièl crâpi ! » […] Autant ça perd à la lecture, autant ça gagne à l’oreille. »
Martin du Gard donne une lecture de sa pièce, le 3 janvier 1914, dans la loge de Copeau au Théâtre du Vieux-Colombier. Enthousiasmé, Jacques Copeau veut monter tout de suite le Testament du père Leleu.
Paris, 13 janvier 1914 :
« Les répétitions du Pé L’leu, qui ont commencé tout de suite, m’ont achevé. C’est éreintant.
Je dois graver de force mon texte patois, avec l’accent, dans la caboche des interprètes, et je m’égosille comme l’homme-orchestre de Diderot.
J’en sors très énervé et très las. »
Paris, 11 février 1914 :
« Ma pièce a passé le 6 en répétition générale devant la presse, et le 7 au soir en première. »
« Pour la première, j’avais prié mes acteurs d’articuler mieux et de dépatoiser légèrement certains passages. […]
Une salle pleine, attentive. Tout portait. Tout le comique portait. […] Oui, vraiment, un gros petit succès. »
Sur le front, 18 septembre 1917 :
« J’ai relu Le Père Leleu. Je vais récrire la pièce, de façon à lui donner une forme définitive, moins exactement berrichonne, plus exactement paysanne, en arrangeant un peu le dialogue de façon à le rendre lisible et jouable sans lui enlever sa saveur, mais en supprimant ou en retouchant ce qui est par trop incompréhensible et particulier. […].
En somme, alléger la pièce d’un côté un peu trop asservissant de son réalisme, et tirer vers le comique, au lieu de pousser vers le drame. »
Sur le front, 7 novembre 1917 :
« Je voudrais, si on le rejoue, le faire jouer en pochade, sans décor, dans un fauteuil, sans crucifix, avec un cadavre pour rire […] »